Article publié par Lucas JAKUBOWICZ sur Journaldunet.com
Ultra connectés et en attente de relations plus humaines, la nouvelle génération pousse les ressources humaines à se réinventer.
Les jeunes nés à partir des années 90 commencent à entrer en force sur le marché du travail. Pour trouver un emploi, ils n’ont nullement l’intention de se limiter à l’envoi massif de CV et de lettres de motivation sur des sites Internet sans âme. Pour eux, l’entreprise ne doit pas être en position de force et sélectionner les candidats sur des motifs qu’ils jugent futiles. Les employeurs ont donc intérêt à revoir entièrement leurs outils de recrutement. Un vaste chantier qui n’est pas que du ressort des ressources humaines.
« La génération Z recherche un recrutement agile, mobile, digital et humain »
François Geuze, maitre de conférences en ressources humaines à l’université de Lille est catégorique : « La génération Z a un nouveau rapport au travail. Elle attend beaucoup des managers. Mais elle nourrit également de grandes exigences à l’égard des ressources humaines. Les jeunes qui entrent sur le marché du travail recherchent un recrutement agile, mobile et digital. Toutefois, ils demandent également une vraie reprise en main par l’homme, ce qui est un vrai défi ».
D’après le spécialiste, cette nouvelle génération changera à court terme le secteur du recrutement. Pourtant, si les entreprises commencent à prendre conscience de la situation, rares sont celles qui osent vraiment franchir le pas et repenser leurs outils.
« Chez Carrefour, 60% de nos recrutements a lieu chez les moins de 26 ans »
Carrefour, premier employeur privé de France, fait partie de ces rares exceptions et a pris conscience de cette problématique dès 2013. « A ce moment nous pressentions que les nouvelles générations allaient tout faire changer, même si le terme génération Z n’était pas employé. A cette époque nous avons donc organisé des ateliers auprès de 30 jeunes de 15 à 17 ans issus de milieux géographiques et sociaux divers. Nous avons été surpris car ils étaient unanimes sur leurs attentes en termes de recrutement : simplicité, entrée en contact direct, multidevice », explique Thierry Roger, directeur de l’espace emploi de Carrefour France. « Nous n’avions pas le choix, nous devions changer en profondeur car chez nous, 60% de nos recrutements annuels a lieu chez les moins de 26 ans ».
Pour s’adapter aux nouvelles attentes, Carrefour a lancé en décembre 2015Carrefour recrute, un site de recrutement spécialement conçu pour tenir compte des attentes de la génération Z. « Cette génération est tellement disruptive que nous avons fait appel non pas à des professionnels du recrutement mais à une agence digitale. Le but est de sortir du schéma dans lequel le candidat se borne à envoyer un CV et une lettre de motivation sur une plateforme. Désormais le parcours candidat doit changer. Il doit être plus digital tout en donnant plus d’interactions humaines, ce qui est un vrai défi », explique Thierry Roger.
Le site se distingue notamment par la possibilité donnée aux internautes d’interroger directement un recruteur sur un chat, ce qui peut aboutir à un début de processus de recrutement. « Nous avons effectué pas mal de benchmark et nous sommes les seuls à avoir instauré cela. C’est une technique qui vient du e-commerce. On trouve une solution face à une problématique sans envoyer de documents. C’est inédit, ce qui explique pourquoi il existe pour le moment une certaine timidité sur le chat », constate le directeur de l’espace emploi de Carrefour.
Autre originalité, le site permet d’entrer en contact avec des salariés de Carrefour, en l’occurrence « un collaborateur-ambassadeur, c’est à dire un salarié qui a un profil sur le site. Celui-ci s’engage à répondre par mail de manière bénévole. Pour le moment nous avons 20 métiers représentés, l’objectif étant d’atteindre au plus vite le cap des 120 métiers et de développer pleinement ce que l’on nomme le sourcing conversationnel », s’enthousiasme Thierry Roger.
« Désormais, 13% des envois de CV se fait à partir d’un smartphone »
Face à cette initiative, François Geuze applaudit des deux mains mais pointe le risque d’une censure de la part du service des ressources humaines. Un risque que réfute Thierry Roger : « le but est de développer lamarque employeur et pour cela il faut être franc. Nous nous engageons donc à ne pas intervenir dans les discussions ».
Enfin, l’accent a été mis sur l’ergonomie et le design afin de faciliter la navigation sur tablette ou smartphone. « Il est trop tôt pour tirer des conclusions mais pour le moment les résultats sont encourageants. Nous avons 10% de visites en plus par rapport à la moyenne de l’année précédente en tenant compte de décembre qui est un mois creux. Autre point important : 24% des connections se font à partir d’un mobile et 7% à partir d’une tablette. Depuis la mise en place du site, 13% des envois de CV se fait à partir d’un smartphone et ce n’est qu’un début », se félicite Thierry Roger.
Développement de la marque employeur, sourcing conversationnel avec des ambassadeurs : ces éléments devraient d’ici quelques années faire évoluer en profondeur le rôle des RH. « Nous allons assister à une véritable décentralisation des ressources humaines. La DSI, le service communication, les salariés ambassadeurs participeront au recrutement. Il faudra former tous ces acteurs. Le problème, c’est que les services des ressources humaines peuvent freiner des quatre fers car ils pourront avoir l’impression de perdre une partie de leur autonomie et de leur pouvoir. Un travail pédagogique est donc à mener », explique Frédéric Laurent, président de econsulting RH, acteur historique du sourcing.
« Nous allons assister à une vraie décentralisation. La DSI, la communication, les salariés participeront au recrutement »
Il est vrai que ces changements auront un impact énorme sur la fonction RH. Aujourd’hui, les entreprises sont en position de force et essaient de recueillir un maximum de CV grâce à des process industriels et standardisés.
Or les outils conçus pour attirer la génération Z vont bouleverser ce rapport. « Ce sera aux employeurs de se montrer proactifs, de susciter l’intérêt des candidats par exemple pour les attirer vers des métiers en tension », analyse Frédéric Laurent, pour qui les changements sont tels qu’ils ne se feront pas sans heurts.
« Je pense que des difficultés pourront se développer dans les gros groupes où le travail se fait en silo. En revanche, les plus petites entreprises, les PME, fonctionnent de manière transversale, ce qui évitera les conflits d’intérêt. Mais toutes les entreprises s’adapteront. Au final, je me fais plus de souci pour les sites de recrutement traditionnels qui se contentent d’analyser des CV et des lettres de motivation avec de simples mots clé », explique le spécialiste.
Lucas KAKUBOWICZ