Interview dossier spécial recrutement pour le Magazine ENTREPRISES numéro Août 2017
août 17, 2017
Les valeurs humanistes : point de départ de la performance et du bonheur
septembre 7, 2020

Article publié par LÉONOR LUMINEAU sur le site capital.fr

Un job plaisant, des collègues bienveillants, un management à l’écoute… Et hop ! La charge mentale devient soudain plus légère.

On le sait, certains facteurs négatifs sont les ennemis de notre santé mentale : harcèlement par un manager, manque de moyens… A l’inverse, il existe aussi de véritables alliés de l’équilibre cognitif, fondamentaux pour le bien-être psychique. A favoriser ou à mettre en place le plus rapidement possible.

L’ambiance, une potion magique

«C’est dingue comme ça change tout d’être dans une équipe sympa», s’étonne Marie. Cadre dans le secteur de la culture, la jeune femme vient de quitter le poste qui l’avait fait rêver à ses débuts pour un autre job, moins prestigieux, mais où elle se sent nettement mieux. Son précédent boulot s’était transformé en source de stress : «L’ambiance de travail délétère créée par certains collègues n’y était pas pour rien», assure-t-elle. L’être humain étant avant tout un animal social, disposer d’une écoute active et du soutien émotionnel de ses pairs est un élément protecteur de l’équilibre mental, confirme Aude Selly, coach, spécialiste de l’épuisement professionnel : «Pour se sentir bien et évoluer, l’humain a besoin dès l’enfance d’interaction, d’appartenir à un groupe. Isolé, on est dans le “je n’existe pas”», analyse-t-elle

Au bureau, certains petits gestes, signes ou paroles, même anecdotiques, s’avèrent cruciaux. «Dire bonjour, merci, au revoir, prendre des nouvelles de son collègue, être attentif aux autres, à l’écoute quand un collaborateur pose une question, même si on n’est pas le bon interlocuteur, favorisent une bonne ambiance», détaille Benjamin Levy, cofondateur de l’application d’apprentissage de l’anglais GymGlish, qui prend le temps de rappeler ces bases à son équipe. Coach spécialisée dans l’accompagnement des dirigeants, Magali Rossello, utilise pour sa part l’outil du mentoring entre pairs, «pour que chacun puisse exprimer ses difficultés et ses soucis en étant sûr d’être écouté». Essentiel pour soigner son mental : selon une étude de l’université Harvard, menée par le psychiatre Robert Waldinger et son équipe, le bonheur, la santé et la mémoire dépendent avant tout de la qualité de nos relations sociales.

Des objectifs bien choisis

L’excès de charge mentale commence souvent par une surchauffe professionnelle. Pourtant, placer la barre très haut est contre-productif. «Un objectif fixé au bon niveau permet au collaborateur d’entrer dans un état de concentration et de motivation optimales. Il sait qu’il peut l’atteindre et en éprouver de la satisfaction», explique le Dr Philippe Rodet, dirigeant du cabinet Bien-être et Entreprise. Valoriser les points forts est aussi facteur de bien-être mental, donc de performance. La consultante Magali Rossello utilise d’ailleurs cette technique : «J’identifie les compétences sur lesquelles chacun possède un argument de différenciation. Et j’insiste dessus. Cela renforce le sentiment d’utilité et le sens dans l’action.»

Un management bienveillant

«Un jour, un manager m’a dit : “Avec ton outil informatique surpuissant, tu dois pouvoir terminer ta mission en dix minutes, non?”» Une gifle et une grosse source de démotivation pour Aude Selly qui raconte les raisons de son burn-out dans Quand le travail vous tue (Maxima, 2013). Entre autres facteurs, un manque de reconnaissance flagrant de la part de sa hiérarchie : «Mon supérieur ne se rendait pas compte de mes efforts et du temps que j’investissais dans mon job.»

Pour conserver un bon équilibre mental, les commentaires positifs et la reconnaissance du travail fourni sont indispensables. Lorsqu’il reçoit un retour, et encore plus lorsque celui-ci est positif, le cerveau active un système de récompense et sécrète de la dopamine, hormone associée au bien-être. Alors pour créer un climat propice au confort mental de vos collaborateurs, n’hésitez pas à les féliciter ! Le «si je ne dis rien, c’est que c’est bon» n’est pas neutre : face à l’incertitude créée par le silence, le cerveau réagit négativement. Plombant !

Du plaisir au travail

Les salariés français ont le blues : 20% d’entre eux s’estiment totalement désengagés, c’est-à-dire malheureux au travail (étude Gallup sur le bien-être des salariés, juin 2018). C’est l’un des taux les plus forts d’Europe de l’Ouest… Or le fait de ressentir du plaisir au travail favorise l’équilibre neuronal, en libérant des dopamines qui activent le circuit de la récompense. «Ce n’est pas un hasard si la plupart des gens qui réussissent sont ceux qui sont satisfaits par ce qu’ils font», remarque Jean-Noël Gaume, conseiller en ressources humaines.

Auteur de L’Entreprise inspirante, il évoque les sportifs de haut niveau, sans cesse à la recherche de la performance à même de leur procurer une nouvelle décharge de dopamine. Intervenant dans le fonctionnement de la motivation et de la mémoire, cette hormone nous donne l’énergie et l’envie de renouveler l’action à l’origine du bonheur ressenti. Sans plaisir, pas de dopamine. Sans dopamine, pas de plaisir. CQFD.

Des résultats concrets

Jean, ancien cadre reconverti dans la menuiserie, se félicite chaque jour de pouvoir matérialiser le fruit de son travail : «Après l’effort, tenir entre les mains l’objet que j’ai fabriqué est source de grande satisfaction, raconte-t-il. Cela me manquait énormément dans mon ancien job où je ne voyais jamais le résultat de mes actions.» Le sentiment de progresser et d’avoir finalisé une tâche sont deux piliers essentiels d’un bon équilibre mental. «C’est ce qui explique la satisfaction procurée par la to-do list, ajoute Philippe Rodet. Rayer au fur et à mesure les tâches accomplies, c’est puissant pour l’estime de soi.» C’est aussi une satisfaction éphémère, sans cesse à réactiver, comme l’explique Gaëtan de Lavilléon, docteur en neurosciences et fondateur de l’agence de conseil Cog’X: «Le cerveau a un goût naturel pour la nouveauté et la forte sensation de récompense qu’elle offre, il va donc toujours avoir la tentation d’aller la chercher», explique ce spécialiste de l’innovation par les sciences cognitives.

D’où l’importance, en tant que manager, d’apporter son lot d’innovations dans toute activité. Emery Jacquillat, patron de la Camif, site de vente en ligne d’équipement pour la maison, a ainsi mis en place des rencontres annuelles entre clients, collaborateurs et fabricants, partout en France. L’idée : rebooster l’intérêt des collaborateurs pour ce qu’ils vendent, donner du sens à leur job et créer des conditions psychologiques favorables à l’engagement

Une pincée d’autonomie

«J’ai longtemps cru que le pouvoir résidait dans le fait d’être le seul à maîtriser certaines choses. En fait, cela ne faisait que frustrer mes équipes. En commençant à partager certaines tâches, j’ai constaté à quel point ils étaient contents d’être responsabilisés. J’avais moins de missions parasites à gérer et, finalement, l’équipe était plus efficace !» se souvient Jan, ancien manager dans le développement international et la santé publique. L’estime de soi, issue de la confiance, est un puissant stabilisateur psychique. Paul J. Zak, directeur du Centre d’études en neuro-économie de Claremont Graduate University (Californie), a ainsi montré que lorsqu’on fait confiance à un individu, le cerveau produit de l’ocytocine. Ce neurotransmetteur du lien social, qui a pour caractéristique principale d’augmenter l’empathie, permet de travailler plus efficacement en équipe.

Attention cependant à ne pas déléguer à tout-va ou à décréter l’autonomisation de chacun de manière unilatérale. «Il faut s’adapter progressivement à chaque individu, souligne Nolwenn Anier, docteur en sciences psychologiques et responsable du pôle recherche de Moodwork, une plateforme digitale visant à favoriser le bien-être des salariés. «Parfois, précise-t-ellle, un collaborateur n’a pas les moyens d’être seul face à ses missions et ne souhaitera pas cette autonomie que d’autres recherchent.» Accordée de manière trop brutale, l’autonomie peut polluer les pensées, explique la chercheuse, et créer… une charge mentale

Un cadre de travail évolutif

Calme lorsqu’on a besoin de concentration, stimulant quand on a besoin de nourrir sa créativité : un environnements de travail capable d’adopter ce double tempo favorise le bien-être mental. «Etre souvent interrompu est un des principaux facteurs de stress. Cela implique de mobiliser régulièrement l’énergie cognitive nécessaire pour se remettre à la tâche, explique Cécile Jarleton, doctorante en psychologie du travail et chercheuse au Lab RH. L’environnement devient moins sûr, moins prévisible, et le cerveau humain n’est pas bien câblé pour l’incertitude. Des interruptions trop fréquentes donnent la sensation, à la fin de la journée, qu’on a pas réussi à aller au bout de sa mission.»

Pour coller à chaque rythme de travail, de plus en plus d’entreprises proposent un large éventail d’espaces à thème. A Massy, Orange Connectivity and Workspace Services, filiale d’Orange Business Service, décline ainsi 14 espaces, de la Pitch room à la Focus room, en passant par la Tisanerie ou encore le Fablab. De même, l’espace partagé de la Villa Bonne Nouvelle d’Orange, à Paris, accueille des collaborateurs et des partenaires externes, start-uppeurs et free-lances, pour des rencontres favorisant la créativité des salariés du groupe.

Accepter la déconnexion

Les outils numériques relayent une foule d’informations que notre cerveau est incapable d’analyser simultanément. «La mémoire de travail ne peut contenir plus de neuf informations en même temps sur quelques secondes, au risque de basculer dans la surcharge», explique Gaëtan de Lavilléon, de Cog’X. Pour le bien-être mental, pas d’autre choix que de remettre à leur place les outils digitaux : ce sont des machines à notre service, et non l’inverse. C’est ce que tente de faire Jordan Defas, manager chez les fromageries Bel : «Je m’entraîne à ne regarder mes e-mails que trois fois par jour, au lieu de les avoir en continu.» Dans son équipe, pas d’échange d’e-mails avant 8 heures et après 19 heures. «Dans la tête de certains, déconnecter, c’est se désimpliquer, souligne-t-il. Ils ont peur que ce soit mal vu, je leur répète donc souvent que c’est tout le contraire !»

Rester soi-même

Garder son calme lorsqu’on se fait agresser par un client, «neutraliser» sa féminité dans un environnement de travail majoritairement masculin, ne pas réagir face à ses collègues quand on est dans un mauvais jour ou se fondre dans la masse alors qu’on est excentrique… autant d’injonctions à ne pas être soi, qui gomment les particularités de chacun, provoquent stress et fatigues. «Cet effort supplémentaire demande de grosses ressources en énergie et pollue le cerveau», explique Nolwenn Anier. A la longue, cela peut devenir usant. D’où l’importance d’évoluer dans un environnement de travail bienveillant et inclusif. Pas de vains mots.

publié sur capital.fr

LÉONOR LUMINEAU